« Un seul héros, le peuple ». Jamais la devise de la guerre de libération nationale n’aura été aussi tangible, aussi indubitable, qu’en 2019.
Depuis onze mois, le peuple algérien lutte d’une manière exemplaire au sein d’un mouvement populaire et pacifique, d’une ampleur inégalée dans l’histoire nationale, dans le but de mettre fin à un régime autoritaire, illégitime et corrompu qui a systématiquement ruiné le pays et désorienté la société depuis l’indépendance.
L’année 2019 en Algérie, c’est celle du courage, de la dignité, de la révolte, de la confiance, de la réappropriation, et de l’intelligence collective. C’est l’année de la renaissance d’un pays entier dont le peuple aspire à construire un avenir meilleur.
Tout a commencé à la ville historique de Kherrata. Le 16 février 2019, des centaines de citoyens organisent une marche pacifique contre le projet du cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. L’annonce de la candidature du président sortant est vécue comme une humiliation et une insulte à la dignité des Algériens. Kherrata va être la première secousse avant le soulèvement du 22 février.
Le 17 février 2019, c’est la ville de Khenchla qui réplique par une manifestation similaire. Il y a foule sur la place publique. L’immense affiche du président Bouteflika, accrochée sur la façade de la mairie, est arrachée aux cris de : « enlevez Bouteflika, laissez le drapeau! ».
Un vent de révolte souffle sur le pays. Les Algériens sont plus que jamais déterminés à refuser la prolongation du statu quo et annihiler le cinquième mandat. Sur les réseaux sociaux, un appel à organiser une immense marche nationale, vendredi 22 février, est lancé.
Le jour J, c’est un tsunami humain qui déferle sur toutes les villes du pays. D’Annaba à Tlemcen, d’Alger à Tamanrasset, le peuple fait corps pour exiger, à l’unisson, la fin du bouteflikisme et la rupture radicale avec un régime qui condamne le pays vers une inéluctable fuite en avant.
Le peuple algérien sort de la marche du 22 février transcendé. À ce soulèvement historique succède des processions populaires à chaque vendredi et mardi, toujours aussi impressionnantes. Les marches pacifiques drainent des foules immenses aux quatre coins du pays. Les étudiantes et les jeunes sont à l’avant-garde de la lutte pacifique. En quelques vendredis, le soulèvement du 22 février se transforme en un véritable mouvement populaire, pacifique, auto-organisé et sans représentation qui réclame avec ardeur le démantèlement du système au pouvoir.
Le 2 avril, le peuple algérien engrange sa première victoire politique en poussant Bouteflika à la démission. Dans l’urgence, le haut commandement de l’armée ne peut qu’accompagner son choix. Mais les Algériens connaissent le régime bien mieux que celui-ci le pense. Ils savent pertinemment que Bouteflika n’était que la façade d’une mafia au pouvoir et que toute perspective de changement réel passe par le maintien de la mobilisation populaire. La ténacité du peuple algérien est époustouflante. Ni les chaleurs torrides de l’été, ni le jeûne du mois de Ramadhan, ni la période estivale n’ont eu raison de la mobilisation.
Au fil des semaines, la « sylmia » (pacifisme) devient la règle d’or du Hirak. Une sorte d’arme de « construction massive » qui désarme un régime prêt à brutaliser et affaiblir le mouvement populaire à n’importe quel moment.
La « sylmia » est plus qu’un slogan. Elle est vécue comme une éthique de la protestation qui préserve le mouvement des écueils du régime tout en consolidant le caractère massif, mixte et intergénérationnel des rangs du Hirak.
Peut-être qu’il n’a point de mot plus juste pour décrire l’année 2019 de Algérie que le terme « Hirak » (mouvement en arabe).
L’Algérie post-22 février est un pays sur la voie du changement, une nation en mouvement, une société en action. Et au-delà des victoires politiques sur le régime, le Hirak a surtout permis la repolitisation de la société, la réappropriation de l’espace public, la lecture critique du récit national et l’engagement d’un débat harmonieux sur l’avenir du pays.
Le Hirak est devenu au fil des semaines un « état d’esprit ». Un mouvement mature qui marche droit vers le cap démocratique. Le Hirak a non seulement bouleversé les rapports sociaux les Algériens, il a également extirpé la société, sidérée par les traumas des « années de sang », de son « silence » politique. La voix du peuple algérien a toujours résonné par les petites révoltes fragmentées et nombreuses ou par l’abstention massive comme mode d’expression privilégié pour affirmer le rejet du régime et ses politiques.
Depuis le 22 février, ce sont les citoyens engagés dans le mouvement populaire et tous les détenus d’opinion injustement emprisonnés qui écrivent l’histoire au présent. Ils sont les visages brillants de la révolution du 22 février. Sans le courage des détenus, sans l’effort sisyphien du peuple algérien toujours dans la rue, sans le travail de la société civile et des collectifs d’avocats, aucun détenu n’aurait été relâché.
Avec le temps, les Algériens ont repris confiance. Ils se regardent dorénavant droit dans les yeux et se disent que nul n’est impossible. Que si leurs ancêtres ont libéré la terre, ils ont pour mission de libérer l’Homme et de mettre tous les moyens intellectuels et politiques pour construire un État qui consacre leur bonheur et leur bien-être. Rien que pour cela, le Hirak est le « bien » le plus précieux de l’Algérie depuis 1962.
En 2019, l’une des plus grandes victoires du peuple, c’est l’endurance par laquelle il n’a cessé de réclamer la « nouvelle indépendance ». Le fameux « Yetnahaw Ga3 », slogan radical d’un mouvement profondément pacifique, exprime la certitude que la nouvelle façade civile du régime ne permettra pas de réunir les conditions du changement réel.
L’organisation des élections présidentielles du 12 décembre n’a jamais été à l’agenda du mouvement populaire. Par conséquent, ce gouvernement n’est pas légitime car il n’a pas l’adhésion du peuple. Les élections du 12 décembre ont été imposées par la haute hiérarchie militaire par la force, l’arbitraire et la répression. Le résultat fût fracassant. Les Algériens ont massivement boycotté un scrutin joué d’avance et la mobilisation n’a pas faibli d’un iota.
Le décès de l’homme fort de l’État-major ne change pas les priorités de la révolution pacifique du 22 février. Les millions d’Algériens qui aspirent au changement en sont pleinement conscients. Ils savent pertinemment que l’édification de l’état de droit et de la démocratie passe par un compromis historique dont le point de départ est la fin de la tutelle militaire sur le pouvoir politique.
La souveraineté populaire sera arrachée tôt ou tard, étape par étape. Les Algériens continueront, avec la même ardeur, à marcher au nom de la dignité, de la justice et de la liberté, en mobilisant toutes les énergies pour que l’An II de la révolution pacifique du 22 février consacre les aspirations d’un peuple qui mérite tous les honneurs.
Raouf Farrah
3 janvier 2020